Grez-Doiceau se positionne contre le projet de loi sur les visites domiciliaires
Notre groupe a déposé, par la voix de son conseiller Louis Wyckmans, une motion sur le projet de loi » visites domiciliaires » (reprise en annexe) pour adoption par le Conseil communal du 6 février. Notre conseiller a fourni en séance une explication de nos motivations, reprise intégralement ci-dessous.
S’en est suivi un débat cordial et serein, dans lequel la Bourgmestre a tenté de sortir du fond de la question par l’aspect supra-communal de la motion proposée, et où le conseiller Benoit Magos (Avec Vous) a fourni un plaidoyer auquel nous souscrivons entièrement sur un sursaut de devoir moral du Conseil communal, en tant que premier niveau de notre démocratie représentative, à se positionner sur des questions de société fondamentales telles que celle-là, ainsi qu’à l’aspect disproportionné de la mesure par rapport aux faits délictueux ou supposés tels.
Après un vote où chacun aura pu s’exprimer en son âme et conscience, la motion a été adoptée avec 9 voix pour (dont 8 issues de la minorité et 1 de la majorité), 7 voix contre et 3 abstentions.
Comme indiqué dans la motion, la Bourgmestre doit à présent transmettre celle-ci à M. Le Président de la Chambre, aux différents chefs de groupes parlementaires, à M. Le Premier Ministre, à M. Le Ministre de l’Intérieur et à M. Le Ministre de la Justice. ECOLO Grez-Doiceau se rend disponible pour l’accompagner dans cette mission si nécessaire !
Intervention de Louis Wyckmans
Lorsque notre groupe a décidé de déposer la proposition de motion, je ne m’attendais pas à l’accroissement de la vague de condamnations qu’a connu ce projet de loi au point que la motion déposée par Ecolo au conseil communal de Liège a été approuvée à l’unanimité donc aussi par les conseillers MR. C’est ce texte, rédigé par nos amis liégeois, qui est repris, à peu de choses près, pour la motion que nous vous prions d’approuver.
Lors de la soirée des « Magritte », des artistes de renom se sont ajoutés par des commentaires bien sentis aux critiques impitoyables exprimées ces jours-ci tant par l’association syndicale des magistrat, les juges d’instruction, le CIRE / Coordination et Initiatives pour Réfugiés et Etrangers , la Ligue des Droits de l’Homme que par le constitutionnaliste Christian Behrendt. Et aussi par de très nombreux citoyens ainsi qu’une loge maçonnique ; en cette occurrence, fait remarquable, elle est en phase quant au fond avec des personnalités de l’église catholique !
La Ligue des droits de l’Homme a publié un argumentaire de neuf pages, très fouillé, dans lequel je relève que « ce projet de loi détruit l’indépendance du juge d’instruction, principe essentiel à toute société démocratique ». Ce que corrobore le juge d’instruction Paul Dhaeyer qui note, je le cite, que « perquisitionner c’est rentrer par effraction dans un domicile privé, un acte gravissime ». Pour le professeur Christian Behrendt, par ailleurs aussi membre du Conseil d’État, « aller chercher une personne dans une maison privée pour une décision administrative contredit une tradition de forte protection du domicile. C’est indigne ! »
On ne peut pas accueillir toute le misère du monde. On connaît l’antienne. Mais on peut développer des politiques qui perpétuent et aggravent ces états de fait scandaleux ou, au contraire, des politiques qui les atténuent, à court terme, et leur trouvent une solution à long terme.
La solution, une politique migratoire sensée, une politique efficiente, moins coûteuse et moins angoissante est européenne – on le sait – et l’ancien ministre italien Enrico Letta a souligné tout dernièrement à la RTBF que l’avenir de l’Europe se joue sur la gestion de la crise migratoire .
Mais les Etats-membres ne contribuent pas à la mise en œuvre de cette politique s’ils courent derrière ceux qui prônent des moyens illibéraux et contraires aux principes fondateurs de l’Europe contenus dans une convention : la Convention Européenne des droits de l’homme, assortie en due forme d’une juridiction, la Cour Européenne des droits de l’homme.
On constate que le glissement vers le populisme et le régime autoritaire dans plusieurs pays (la Hongrie, l’Autriche, la Pologne) est aujourd’hui une menace pour le respect de ces principes. Les dirigeants de ces pays font peu de cas de l’État de droit et ils n’hésitent pas à se targuer ouvertement de pratiquer des politiques illibérales.
C’est d’autant plus navrant de voir que nos gouvernants participent – en sortant de leur manche ce projet de loi, entre autres – à l’érosion de l’État de droit et à l’érosion des valeurs surgies du Siècle de Lumières et qui s’appellent, oui, valeurs libérales. L’adjectif est bien différent de néo-libéral ! (Pour en savoir plus informez-vous auprès du papa de notre actuel premier ministre.)
Il ne faut pas changer le texte de ce projet de loi ou l’amender. Il faut changer d’optique.
Il y a donc deux bonnes raisons pour que notre assemblée, le Conseil communal de Grez-Doiceau, adopte la motion que le groupe Ecolo lui soumet :
pour soutenir l’Europe, l’Union Européenne, qui, de l’avis d’observateurs avisés tel l’historien réputé August Winkler, ne sortira de la crise dans laquelle elle se débat actuellement que par un indéfectible attachement à ses valeurs fondatrices ;
pour manifester la haute idée que nous avons de la démocratie, de l’État de droit et de notre volonté d’en être les défenseurs.
Annexe – Motion du Conseil Communal de Grez-Doiceau concernant le projet de loi autorisant les visites domiciliaires (texte intégral)
Considérant le fait que la Commission de l’intérieur de la Chambre a examiné le mardi 23 janvier 2018 le projet de loi qui autorise les visites domiciliaires en vue d’arrêter une personne en séjour illégal ;
Considérant le fait que la loi offre déjà aux forces de sécurité tout le loisir d’intervenir et de contrôler toute personne susceptible de nuire à l’ordre public ;
Considérant que le projet de loi vise à modifier la loi de telle sorte que les juges d’instruction soient placés dans la quasi obligation de permettre ces visites domiciliaires ;
Considérant que le domicile est inviolable selon l’article 15 de la Constitution, que les exceptions à l’inviolabilité du domicile sont strictissimes et que le juge d’instruction n’ordonne une perquisition que dans le cadre d’une infraction ou d’une instruction pénale et non d’une procédure administrative ;
Considérant que la Cour constitutionnelle, dans son récent arrêt 148/2017 du 21 décembre 2017 censure certaines dispositions de la loi pot-pourri II, et annule précisément la possibilité de procéder à une perquisition via une mini instruction en ces termes :
« En raison de la gravité de l’ingérence dans le droit au respect de la vie privée et dans le droit à l’inviolabilité du domicile, la Cour décide que la perquisition ne peut, en l’état actuel du droit de la procédure pénale, être autorisée que dans le cadre d’une instruction. Permettre la perquisition via la mini-instruction dans le cadre de l’information sans prévoir des garanties supplémentaires pour protéger les droits de la défense viole le droit au respect de la vie privée et le droit à l’inviolabilité du domicile » ;
Considérant que ce raisonnement s’applique a fortiori dans le cadre d’une procédure administrative ;
Considérant que le projet de loi stigmatise les personnes en situation de séjour illégal en supprimant les droits de la défense les plus fondamentaux et en assimilant une procédure administrative à une procédure pénale ;
Considérant que le droit au respect de la vie privée et le droit à l’inviolabilité du domicile sont des principes fondamentaux de la démocratie ;
Le Conseil communal de Grez-Doiceau :
INVITE le Parlement fédéral à rejeter le projet de loi en question ;
INVITE le Gouvernement fédéral à reconsidérer sa position au regard des différents avis émis jusqu’à présent par le Conseil d’Etat, l’ordre des avocats, l’association syndicale de la magistrature et les différentes associations citoyennes (CNCD, Ligue des droits de l’Homme, Ciré…) ;
CHARGE Mme. la Bourgmestre de transmettre cette motion à M. Le Président de la Chambre, aux différents chefs de groupes parlementaires, à M. Le Premier Ministre, à M. Le Ministre de l’Intérieur et à M. Le Ministre de la Justice.